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Retour d’expérience

Journal d’un cartographe (1996-novembre 2003)

mardi 4 novembre 2003, par Denis Rebaud

L’idée de cet article m’est venue à la suite de remarques à propos de mon carnet dans lequel je consigne toutes mes cartes heuristiques. Les stagiaires, qui les feuilletent lors de mes formations, pensent qu’ils sont incapables d’arriver au même résultat.

Pourtant, j’ai fait mes premiers pas maladroitement et mes progrès ont été lents. Je souhaite ici redonner courage aux personnes qui doutent être de bons cartographes, en racontant par le détail ma propre expérience.

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Décembre 1996. Je découvre les cartes heuristiques lors de ma formation d’ingénieur cesi. Alors qu’il nous présente en aparté la technique des chapeaux d’Edward de Bono, l’un de nos formateurs dessine un drôle de schéma au tableau pour clarifier ses propos.

C’est une révélation pour moi : commencer au centre de la page et écrire au fur et à mesure que les idées viennent sans jamais manquer de place... C’est d’une simplicité enfantine, encore plus fort que l’œuf de Christophe Colomb.

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Je dois cependant attendre début 1999 pour trouver enfin l’occasion de mettre en pratique les cartes heuristiques qui m’ont été expliquées en deux minutes à peine. Durant quelques mois, je dessine des cartes qui, avec le recul, n’ont qu’un vague et lointain rapport avec la technique telle que je la pratique aujourd’hui (ça ressemble plutôt à des concepts maps).

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Après avoir lu Une tête bien faite, j’améliore un peu mon style qui reste cependant encore très fil de fer. Avec le recul, je vois toutes mes erreur d’alors : des phrases au lieu de mots-clés, une écriture verticale très dure à lire, aucune couleur, du papier quadrillé qui me freine insconciemment [1]... Comme quoi, apprendre les cartes heuristiques dans les livres est insuffisant.

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Janvier 2000. J’avoue que je ne suis pas encore totalement convaincu : pour restructurer une carte, il faut complètement la redessiner et je trouve cela rédhibitoire. Je recherche donc une solution logicielle et après diverses comparaisons, j’arrête mon choix sur MindManager.

Retravailler une carte devient un vrai plaisir et les fonctions du logiciel m’ouvrent de nouvelles applications : cartographie de solutions logicielles dans le cas d’une veille technologique, création de propositions commerciales sous forme de site Web... Bref, je deviens un accro du logiciel, au point d’abandonner le papier.

Pourtant, la lecture du livre de Tony Buzan, Une tête bien faite, me fait prendre conscience que les cartes heuristiques sont bien plus riches que je ne le pensais au départ. Comme souvent dans de pareilles situations, je sens que j’arrive à une limite que je ne pourrais pas franchir seul, même en lisant des livres.

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Mars 2002. Je participe à une formation de deux jours animée par Frédéric Le Bihan. Je sais maintenant d’ou vient la puissance des cartes et comment faire en sorte qu’elles soient le plus efficace possible, ce qui me permet d’améliorer de façon significative celles-ci sur ordinateur. J’ai aussi conscience des limites du logiciel et l’idée de dessiner mes cartes sur papier me trotte à nouveau dans la tête. Il me manque le bon déclic...

Octobre 2002. Celui-ci se produit lors de la formation de Pierre Le Den et conçue par Frédéric Le Bihan pour favoriser la pratique du dessin avec les cartes. J’y redécouvre le plaisir du crayonnage et du coloriage qu’enfants, nous avons tous connus et oublié depuis. Mais là encore, il me faut attendre quelques mois pour trouver l’occasion de passer de l’envie à l’acte.

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Mars 2003. Changement au niveau professionnel. J’en profite pour sauter le pas et changer de méthode de travail : j’investis dans un carnet à croquis Canson. Mes premières cartes dans ce carnet sont monochromes, raides comme la justice [2] tandis que j’esquisse timidement un dessin en relief au milieu.

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C’est aussi le début d’un projet dont l’aboutissement sera ... le premier livre sur les cartes heuristiques écrit par des francophones.

Ce dernier point est très important, car à partir de maintenant, je ne suis plus seul dans mon coin, mais je peux partager mon expérience avec d’autres praticiens et me nourrir de leur propre travail. Fait amusant, nous nous envions tous mutuellement, chacun souhaitant être capable de dessiner des cartes comme l’autre...
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Avril 2003. Mes premiers essais avec des feutres couleur ne m’enthousiasment pas à :

  • àils sont trop gros pour écrire lisiblement à ;
  • àils bavent lorsque les couleurs se chevauchent à ;
  • àil faut deux mains pour les ouvrir, ce qui est peu pratique à ;
  • àchanger de couleur prend du temps à cause du bouchonnage à ;
  • à« jouer avec des feutres dans une réunion, ça fait pas sérieux ».

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Je décide donc de n’utiliser qu’un seul stylo fin pour l’écriture et le dessin des branches afin de mieux me concentrer sur mes interlocuteurs lors de mes entretiens. Suite à une panne d’encre qui m’oblige à écrire en bleu, je constate que seul, le noir est capable de côtoyer harmonieusement les autres couleurs une fois la carte coloriée.

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Mon premier essai avec des crayons de couleur me donne confiance : je sens que c’est la bonne technique pour moi, car les crayons de couleur ne bavent pas sur le texte (on peut facilement surligner en jaune sans problème). De plus, j’aime bien cette sensation de détente que me procure le coloriage, propice à la réflexion où je sens mon cerveau vagabonder d’une idée à l’autre.

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Après quelques semaines de trajet dans ma sacoche, les cartes commencent à s’abimer, car les couleurs ont tendance à se transférer entre cartes situées en vis-à-vis. Pour y remédier, je ne dessine plus qu’une seule carte par feuille, ce qui me permet de noter maintenant des informations sous forme « classique » sur la page ainsi libérée (tableaux, figures...). D’autre part, je pulvérise sur mes cartes du fixatif pour crayons de couleur et fusain [3].

Pour le plaisir, je colorie les branche principales en dégradé pour créer un effet de relief et j’ajoute un léger filet en gris clair sous celles-ci avec un feutre pinceau Tombo n°530 [4], histoire de donner une illusion de profondeur.

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Mai 2003. Je concentre mes efforts sur le cœur de mes cartes. Parfois, je n’ai pas d’idées lorsque commence la réunion. Après différents essais, j’ai trouvé plus pratique de ne rien dessiner au centre, même si cela va à l’encontre des règles de base (commencer par dessiner le cœur puis les branches). J’aime bien crayonner les dégradés de couleur. Du coup, mes cœurs n’ont plus de rebords, mais ça passe mal au scanner lorsque je numérise mes cartes pour envoi par courriel.

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Quant aux branches principales, je n’en dessine d’une partie pendant la phase de prise de note. Ensuite, dans un second temps, je la complète une fois le cœur dessiné avant la mise en couleur (ça permet d’arrêter les traits aux bons endroits). Contrairement à ce que pensent les braves gens comme dirait Brassens, colorier une carte n’est pas du temps perdu. En fait, cela me permet de réactiver les informations que j’ai en mémoire et ce, en quelques minutes à peine.

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Juin 2003. Je trouve que mes cartes se ressemblent maintenant toutes plus ou moins. Il n’y a pas assez d’images à mon goût et les branches principales sont trop droites. Je m’efforce de leur donner un aspect plus proche d’une racine d’arbre (d’où la dénomination bio) pour renforcer leur différence visuelle.

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Juillet 2003. C’est décidé ! Je vais me mettre au dessin, notamment avec l’excellent livre de Bettina Edwards, afin de pouvoir créer d’autres cartes comme celle ci-contre, qui est déjà le résultat de plusieurs essais. J’ai bien envie également de dessiner des personnages de BD comme les screenbeans fournis avec la suite bureautique Microsoft Office.

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Août 2003. Mon travail de réflexion sur la prise de notes pour le livre Organisez vos idées me conduit à changer une fois de plus ma technique de travail. Désormais, je vais d’abord faire un brouillon sur une feuille volante avant de recopier la carte pour trois raisons :

  • il m’arrive parfois de commencer une carte et de ne pas la finir pour diverses raisons : la conférence était moins intéressante que son titre, la réunion informelle a duré moins de temps que prévu...
  • quand ma carte couvre une feuille complète, j’hésite à prendre une deuxième feuille, perdant ainsi des informations. Ensuite, je me retrouve avec deux cartes dont le contenu mériterait d’être restructuré ;
  • la plupart de mes cartes gagneraient à être restructurées avant la mise en couleur (cf. Mai 2003).

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Octobre 2003. Ma résolution de juillet n’a guère avancé par manque de temps. Je n’ai pas encore fait le premier exercice du livre de Bettina Edwards. Par contre, j’ai quand même fait quelques progrès, ce qui semble paradoxal. J’imagine maintenant (au sens premier du terme : visualiser dans sa tête) mes dessins et quand ils sont prêts, je les projette mentalement sur la feuille de papier. Ensuite, je n’ai plus qu’à repasser les contours. Je sais quand lever le crayon, démarrer un trait, etc. Ce n’est pas encore parfait, mais ça marche et je me surprend à me bluffer moi-même.

Je m’aperçois également qu’il ne sert à rien de tenter d’associer une image à un mot-clé. Dès que l’on se pose la question « Par quoi illustrer tel mot-clé ? », c’est foutu. Le cerveau gauche impose sa loi et inhibe le côté droit, siège de l’imagination. En fait, mes meilleures idées, je les trouve quand je ne les cherche pas directement et ce n’est jamais immédiat. Il y a parfois plusieurs aller-retours entre une image qui m’aide à clarifier mes idées et celle qui m’inspire d’autres représentations.

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Novembre 2003. J’ai acheté un nouveau bloc de papier, le précédent étant complet. J’en ai profité pour choisir un autre modèle (Photo&Art de Prat), histoire d’essayer. Hélas, je suis déçu : je n’aime pas la légère coloration du papier et surtout, mon feutre crisse sur la feuille. Impossible de prendre des notes de façon agréable. Cela me conforte dans l’idée qu’il faut vraiment choisir son matériel avec soin.

Épilogue (provisoire)

J’ai souhaité montrer dans cet article que la pratique des cartes heuristiques est un cheminement permanent, jalonné de déclics suivis de progrès plus ou moins rapides, bref une sorte d’escalier.

Ce qui est peut-être plus difficile à percevoir, et qui est pourtant irremplaçable à mes yeux, c’est que ce cheminement ne s’est pas fait seul dans mon coin : tous mes progrès, je les dois à des rencontres : formations en présentiel, échanges... Lire des livres sur les cartes heuristiques, c’est bien mais ce n’est pas suffisant. Rien ne vaut le contact humain pour apprendre.

Comparez vos cartes actuelles avec mes premières œuvres et vous n’aurez pas à rougir de votre travail actuel. Projetez-vous plutôt dans l’avenir, soyez persévérant(e) et rencontrez d’autres cartographes. C’est d’ailleurs la raison d’être de la liste Heuristique et des rencontres Pétillant à ;-)

Quant à moi, je continue à expérimenter et à me perfectionner, car de même qu’une carte n’est jamais terminée, son apprentissage progresse en permanence...


Cet article est découpé en plusieurs pages. N’hésitez pas à les parcourir en utilisant la barre de navigation ci-dessus.

Portfolio


[1Une recommandation à suivre lorsqu’on débute : éviter d’utiliser du papier à carreaux. En effet, ceux-ci ont tendance à nous renvoyer à nos méthodes de prise de notes classique, héritées de notre scolarité, alors qu’une feuille vierge invite à se libérer de nos habitudes.

[2Difficile de renoncer aux habitudes acquises quand je faisais du dessin industriel pendant mes études.

[3Aérosol en vente dans les magasins spécialisés dans les arts graphiques. Vous pouvez aussi utiliser de la laque pour cheveux.

[4Matériel en vente dans les magasins spécialisés dans les arts graphiques ou les bonnes papeteries.